Face
aux crises, logique et rapidité, par Martti
Ahtisaari
Martti Ahtisaari est président de la République
finlandaise.
Le Monde daté du jeudi 4 novembre 1999
Quand je
travaillais aux Nations unies, au moment de
l'occupation du Koweït et de la guerre qui l'a
suivie, mes collaborateurs m'ont demandé : «
Comment est-il possible, M. Ahtisaari, que nous qui
avons cru, autrefois, nous mettre au service d'une
organisation de la paix, soyons actuellement au
service d'une organisation qui permet la guerre ?
Pourquoi l'ONU a-t-elle permis le recours à la force
dans la situation présente et pourquoi ne l'a-t-elle
pas fait dans d'autres crises semblables ? »
J'ai essayé de leur
répondre du mieux que je pouvais : nous devons nous
féliciter que la communauté internationale puisse
à présent réagir, dans une situation où un Etat
occupe et détruit son petit voisin ; il est, bien
entendu, possible que l'on n'ait pas agi logiquement
auparavant dans des situations semblables ;
maintenant, les conditions existent pour qu'on puisse
agir de manière juste et appliquer cette logique de
manière constante.
Je me suis remémoré
cette discussion plusieurs fois cette année, alors
que nous suivions l'évolution de la crise au Kosovo.
Les mêmes questions se sont de nouveau posées : «
Pourquoi réagit-on maintenant Pourquoi n'a-t-on pas
réagi ailleurs ? » Cette interrogation est
légitime. Nous devons nous demander comment la
justice pourrait, à l'avenir, se réaliser plus
souvent.
Depuis longtemps
déjà, j'ai réfléchi, avec mes différents
interlocuteurs, aux moyens d'augmenter la logique et
l'efficacité des actions de la communauté
internationale dans les situations de crise et je
pense qu'il serait possible de développer la prise
de décision, ainsi que l'application des décisions.
Nous devons tendre
vers un système dont les principes sont la durée,
l'égalité et la logique, et qui réalise aussi les
opérations de façon efficace et fructueuse. Cela
présuppose le développement du droit international,
la création de nouveaux modes d'action et des
ressources d'un nouveau type.
Dans le discours que
j'ai prononcé en janvier à La Haye, j'ai proposé
que l'on songe à la possibilité, pour le
secrétaire général de l'ONU, de demander un avis
consultatif au Tribunal international lorsqu'on est
en présence d'une crise à laquelle on ne trouve pas
de solution. Ainsi, l'avis juridique émis par le
Tribunal, avec le poids de son autorité, pourrait
aider le Conseil de sécurité à trouver l'entente
politique nécessaire lorsqu'un Etat est menacé par
une intervention internationale parce qu'il ne peut
plus, ou ne veut plus, protéger ses ressortissants
contre des violences armées.
Cette initiative part
de l'idée que l'avis du Tribunal pourrait amener les
pays membres du Conseil de sécurité, et en
particulier ses membres permanents, à une attitude
plus logique en ce qui concerne les différentes
crises. Mon initiative n'a pas été accueillie sans
réserve et je comprends cette attitude : un tel avis
restreindrait la liberté de jugement de nombreux
pays. Il faut cependant tendre à une plus grande
prévisibilité et à une plus grande logique.
Néanmoins, le seul
développement de la prise de décision ne suffit
pas. Il faut pouvoir mettre les décisions à
exécution. A cet égard, les récentes expériences
nous ont appris beaucoup de choses. Nous avons eu la
chance que l'Australie puisse, aussi rapidement,
envoyer ses troupes au Timor-Oriental après la
décision prise au Conseil de sécurité, avec
l'accord de l'Indonésie. Même s'il ne s'est agi que
de quelques milliers de soldats, nous sommes certains
que de nombreuses vies humaines ont été sauvées
grâce à la rapidité de cette intervention.
Par ailleurs,
l'expérience du début des opérations civiles au
Kosovo a montré dans quelles difficultés on se
retrouve lorsqu'une action rapide n'est pas possible.
On n'a pu obtenir, par exemple, qu'une partie des
policiers civils dont on avait besoin, bien que
l'opération ait commencé il y a plusieurs mois
déjà. Le manque de policiers a peut-être
contribué à aggraver le départ des Serbes de la
province. Le Kosovo nous a aussi appris combien une
action rapide était importante pour venir en aide
aux réfugiés. S'il n'y avait pas eu, en Macédoine,
de forces de maintien de la paix, et leur capacité
logistique, l'établissement de camps de réfugiés
aurait duré beaucoup plus longtemps, aggravant les
souffrances humaines. Sur ce point, la chance a été
avec la communauté internationale.
Il est encore plus
évident que nous devons développer le système de
façon à pouvoir réagir plus rapidement à la
naissance des crises. Lors de la guerre froide, les
nations avaient réglé leurs mécanismes pour faire
une guerre rapide et efficace. Il faut maintenant
concentrer nos efforts pour parvenir à la paix plus
rapidement. L'ancien sous-secrétaire général des
Nations unies Brian Urquhart a émis, il y a quelques
années, une idée qui est peut-être encore plus
actuelle aujourd'hui. Il a déposé un rapport sur
une force permanente internationale de déploiement
rapide à la disposition du Conseil de sécurité.
Selon M. Urquhart, une force de quelques milliers
d'hommes serait suffisante pour ramener le calme dans
un foyer de crise n'importe où dans le monde, si
elle pouvait y être acheminée en quelques jours.
L'exemple du
Timor-Oriental a montré que, pour rétablir le
calme, l'important était d'arriver rapidement sur
les lieux et non les effectifs des premières
troupes. Puis, une éventuelle opération de gestion
des crises pourrait être étudiée, selon les
besoins à plus long terme, lorsque les propres
troupes des Etats membres sont en état d'intervenir.
L'initiative de M. Urquhart est une bonne base pour
un développement ultérieur. On peut certainement
trouver plusieurs solutions qui permettraient de
réduire le délai d'intervention. Si l'idée d'une «
légion étrangère » propre à l'ONU ne semble
pas réaliste, il faudrait réfléchir aux moyens qui
permettraient aux Etats membres de mettre,
rapidement, des troupes à la disposition du Conseil
de sécurité et du secrétaire général. Cela n'est
pas possible dans le cadre du système actuel.
Des idées semblables
devraient aussi être développées du côté civil.
Quelle serait la meilleure façon de se préparer à
aider les réfugiés en cas de crise ou de
catastrophe naturelle ? Comment la communauté
internationale pourrait-elle recourir aux services
d'une police civile, plus rapidement que ce ne fut le
cas au Kosovo ?
Créativité et
absence de préjugés sont nécessaires pour trouver
des modèles réalisables permettant d'améliorer la
capacité de la communauté internationale à aider
les civils qui souffrent des crises. Il est important
que nous progressions vers un monde où la justice et
la possibilité d'obtenir de l'aide dans les
situations de crise ne dépendent pas du lieu de
résidence ou de la conjoncture politique.