DISCOURS
DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE FINLANDE AU
SÉMINAIRE
COMMÉMORANT LE 20ème ANNIVERSAIRE DE
LINSTITUT FRANÇAIS DES RELATIONS
INTERNATIONALES, LE 4 NOVEMBRE 1999
LA PERSPECTIVE EUROPÉENNE FACE À
LAVENIR DE LA SOCIÉTÉ DE LINFORMATION,
À LHEURE DE LA MONDIALISATION
La France
et Paris sont lenvironnement idéal pour
réfléchir au caractère de la société de
linformation.
La France
est à nos yeux un pays précurseur au chapitre des
questions de la société de linformation. Des
années avant les autres, on a compris ici que, dans
la construction de la société de
linformation, le plus important est de veiller
à associer toute la société et tous ses membres à
ce processus. Le pays qui nous reçoit est aussi une
grande puissance culturelle, riche non seulement
dune histoire brillante mais également fort
dune solide emprise sur lavenir. La
France est un acteur de premier plan sur la scène
internationale de linteraction économique et
intellectuelle.
Je me
félicite de la coopération particulièrement
étroite en la France et la Finlande dans les
questions liées à la société de
linformation.
***
Dans un
pays dont les idéaux révolutionnaires firent entrer
dans une ère nouvelle lhistoire de notre
continent, on peut dire, en toute bonne conscience,
que nous vivons à nouveau une ère révolutionnaire.
Les
technocrates nont jamais fait de révolution.
Les révolutionnaires ont été des gens qui avaient
une vision claire du développement vers lequel ils
souhaitaient voir la société sorienter. Ils
ont su traduire en paroles les valeurs auxquelles ils
croyaient. Il y a deux siècles, le slogan
"Liberté, égalité, fraternité" mit en
branle le changement qui ouvrit la voie à
lEurope moderne. Aujourdhui encore, ces
trois mots décrivent les idéaux auxquels nous, les
Européens, nous croyons. Pouvons cependant dire, en
toute bonne conscience, que ces valeurs ou
dautres régissent nos décisions concernant la
société de linformation? Savons-nous,
dune manière générale, décrire les valeurs
sur lesquelles nous désirons fonder la société
européenne de linformation?
Ce défi
est commun à toute lEurope. Les citoyens de
nos pays ont le droit légitime de demander vers quoi
tendent nos efforts, dans la coopération
européenne.
LEurope
devrait maintenant rassembler ses forces et prendre
la tête du développement de la société de
linformation, être le continent qui concilie
la technique, léconomie, le développement
social équilibré et les droits de lindividu.
La participation de toute la société à ce
développement - jeunes et personnes âgées,
personnes qui réussissent et défavorisés,
individus et collectivités doit être
lobjectif visé. A travers ce changement, nous
pouvons afficher nos valeurs.
Je
voudrais maintenant examiner le passage à la
société de linformation, et le faire en
particulier sous langle de léconomie, de
la culture et de la démocratie.
Le
passage à la société de linformation modifie
profondément les structures de léconomie. Il
génère de formidable marchés des services, ce qui
nous oblige aussi à prendre de décisions
politiques, nombreuses et difficiles. Lexemple
de la Finlande durant la décennie qui sachève
illustre peut-être aussi la situation à un niveau
plus général. Je prendrais la Finlande comme
exemple, car notre pays shonore dune
longue expérience du développement de la société
de linformation et parce que nous devons, parmi
les premiers, affronter bon nombre de nouveaux
défis.
Augmenter
la concurrence dans le domaine des
télécommunications a été une décision prise en
connaissance de cause, à notre propre initiative.
Louverture des marchés, qui débuta dès les
années 1980, a progressé de telle sorte quà
partir du début des années 1990, la libéralisation
totale du marché est devenue une réalité.
Laccès sans entrave au marché et la
concurrence qui en est résultée ont été la
condition préalable à la recrudescence de
loffre de services et à la percée réalisée
par de nouveaux services comme lInternet,
profitant à dautres domaines de
léconomie. La croissance et le changement qui
ouvrent la voie à la société de linformation
nauraient pas été possibles sans la levée
des obstacles à la concurrence.
Mais
décrire le changement de notre économie comme
résultant uniquement de sages décisions prises par
les décideurs politiques et comme un processus
planifié à lavance serait enjoliver les
choses. Les historiens économiques insistent
également sur la signification de ce quil est
convenu dappeler la destruction créatrice.
Nous en avons aussi reçu notre part - une part tout
à fait honnête.
Au début
de la décennie en cours, notre économie a été
plongée, par leffet de la conjonction de
plusieurs facteurs, dans une récession plus profonde
que celle rencontrée par aucune autre économie
occidentale après la seconde guerre mondiale.
Léconomie publique a été secouée par la
crise, le taux chômage a grimpé en peu de temps; on
assista à sa démultiplication, alors quil
nétait que de quelques points. La situation
économique difficile a affecté presque chaque
Finlandais, dans sa vie personnelle.
Du jour
au lendemain, les structures bien établies de notre
vie économique furent mises à lépreuve. Nos
modèles de pensée eux-mêmes durent être revus.
Nous savions quaucun retour en arrière
nétait possible. Il fallait entreprendre de
développer quelque chose de nouveau.
Cest
pourquoi nous avons orienté nos moyens vers le
développement de la nouvelle technologie.
Linvestissement dans les activités de
recherche-développement était accru depuis plus
longtemps déjà, la main-doeuvre qualifiée
était disponible.
Les
sacrifices commencèrent à porter leurs fruits.
Notre compétitivité saméliora, nos
entreprises se mirent à réussir de mieux en mieux,
face à la concurrence internationale. La nouvelle
technologie - et tout particulièrement
lindustrie des télécommunications - est
devenue un nouveau pilier de notre économie.
Celle-ci sest engagée sur la voie de la
croissance, restée stable jusquà présent.
Notre taux de chômage a baissé au point
dêtre déjà en-dessous de la moyenne des
Etats membres de lUnion européenne. Nous avons
également su adhérer à la zone Euro et entrer dans
lère de linflation à faible taux.
Quels
enseignements notre exemple pourrait-il apporter à
dautres? Que le changement est essentiellement
mental. Si nous avons réussi à nous sortir de la
crise, cest principalement parce que nous avons
osé renoncer - et nous avons dû renoncer - à nos
attitudes passées et su tourner nos regards vers
lavenir.
Il peut
aussi y avoir autre chose à apprendre de nos
expériences. En effet, la restructuration a soulevé
de nouvelles questions. Alors que, dans
lensemble, le développement apporte à notre
peuple la réussite économique, la prospérité est
inégalement répartie. Jusquà présent, la
répartition des revenus a été chez nous lune
des plus égales qui soient en Europe. Les Finlandais
sont maintenant plus riches que la
moyenne, sans pour autant que cela garantisse une
société juste et égalitaire.
Il est
clair que lentreprise et le savoir-faire
spécifique doivent être gratifiants. Il est tout
aussi clair quune société où règne la
partition entre vainqueurs et perdants ne peut être
juste et égalitaire. Cest pourquoi nous ne
pouvons investir uniquement dans les meilleurs et
privilégier lélite. Nous devons veiller à ce
que tous les citoyens aient des chances égales de
tirer partie des possibilités de la société de
linformation. Il sagit dun objectif
essentiel.
***
Durant
les décennies écoulées, nous nous sommes
imprégnés dun nouveau modèle de pensée,
selon lequel le développement conduit à des plus
grandes unités, une concentration accrue et la
disparition de la diversité. En craignant souvent
que léconomie comme la culture en soient
affectées.
Le
développement de la société de linformation
semblerait remettre en cause cette manière de voir.
Les grandes organisations ont fait place à des
réseaux flexibles. La valeur de la diversité comme
source de créativité et de flexibilité est mieux
perçue chaque jour. Ce qui est petit est, de plus en
plus souvent, considéré comme une force et non
comme une faiblesse; ainsi, David est plus habile que
Goliath. Un système dexploitation
dordinateurs mis au point par un étudiant
finlandais peut désormais défier la plus grosse
société mondiale de logiciels, dans un combat à
égalité.
Avons-nous
compris quelles possibilités soffrent
présentement à nous? Il devrait être désormais
possible de niveler, dune nouvelle manière,
les écarts de développement à lintérieur
des pays et entre les pays. Il sagit
dinnovation, daptitude à appliquer le
savoir dune nouvelle manière. Cest une
ressources naturelle véritablement inépuisable.
Nous
devons entreprendre de développer des solutions
nouvelles et aussi une politique régionale nouvelle.
Grâce au télétravail, à lenseignement à
distance, à la télémédecine et à dautres
applications des télécommunications, nous avons
également pu faire pénétrer lexploitation du
savoir et de linnovation dans les régions plus
marginales et peu densément peuplées. Si, un jour,
nous disons dans les discours solennels que la
nouvelle technologie réduit la signification des
distances, pourquoi ny croirions-nous pas
également dans la vie pratique.
La même
réflexion vaut aussi à léchelle mondiale.
Bon nombre de pays moins développés pourraient
maintenant trouver la possibilité daccéder au
savoir et au développement, grâce à des
investissements sensiblement moins lourds que dans le
passé. Je prends la liberté de croire que
lorientation vers la société de
linformation pourrait être une manière
dengager, par exemple, lAfrique sur la
voie solide du développement.
***
Le
passage à la société de linformation ne
concerne cependant pas seulement léconomie.
Son influence sur la culture est peut-être plus
grande encore. Les modes de vie des individus et le
contact entre eux évoluent. La distance perdant son
importance, les frontières entre les nations
deviennent floues.
Le
changement touche aussi les petites zones
culturelles. Nous suivons avec une particulière
vigilance la manière dont le changement affecte les
langues comme le finnois. Souvent, on exprime la
crainte de voir les grandes langues acquièrent une
suprématie et écraser peu à peu les petites
langues sous leur poids.
Il
nen est rien. Bien sûr, nous devons maîtriser
les langues étrangères lorsque nous opérons dans
le monde. Mais, en même temps, nous pouvons
constater que la langue finnoise connaît
présentement une vitalité peut-être sans
précédent. Le finnois est une langue officielle de
lUnion européenne. En outre, grâce à la
nouvelle technologie, un nombre croissant de
Finlandais peuvent trouver des services en finnois
lorsquils séjournent à létranger. Les
locuteurs finnois, naturellement, ne sont pas les
seuls dans ce cas. Cette possibilité est
particulièrement importante dans un continent comme
lEurope, riche de sa diversité linguistique.
Dès à
présent, de nombreux petits groupes
géographiquement dispersés tirent partie, dans
leurs contacts, des plus récents acquis de la
technologie. Cest là quest dissimulé le
germe des grands changements. Lidentité de
lindividu ne puisera plus autant, à
lavenir, dans lenvironnement
géographique. Ses loisirs et ses sujets
dintérêts, ses opinions sociales ou ses
convictions religieuses gagneront en importance.
Ainsi, de plus en plus, les sociétés auront des
valeurs plurielles. Dans la société de
linformation, les minorités pourraient bien
constituer une majorité de fait.
Ces
contacts, éventuellement mondiaux, entre minorités
ont beaucoup de conséquences positives. Ils
confortent la diversité linguistique et culturelle.
Ils empêchent aussi la majorité détouffer
les avis de minorités. Dun autre côté, ils
peuvent aussi renforcer des forces négatives,
hostiles à tel ou tel groupe humain. Mais ces forces
ne sauraient être vaincues ni par la censure ni par
la surveillance. La force la plus solide pour
sy opposer, cest une société saine, où
la tolérance est une valeur de premier plan.
***
Les
grandes questions de société affectent toujours
lindividu. Si nous demandons comment la
démocratie peut se développer au sein de la
société de linformation, nous devons alors
demander également quels instruments elle offre au
citoyen.
De
nombreuses organisations non-gouvernementales ont
déjà assimilé les nouvelles possibilités. Elles
gardent le contact entre elles, et elle
sefforcent dinfluer sur lopinion
publique par le biais des réseaux
dinformation. Je pense que nous navons
encore quun avant-goût de la manière dont ce
développement peut renforcer la société civile.
Il sera
également nécessaire dentreprendre,
courageusement, la réforme du système traditionnel
de prise de décision. Linformation relative à
la préparation des décisions doit, à lamont
de celles-ci, être mise à la disposition des
citoyens; ceux-ci doivent aussi se voir offrir la
possibilité de participer au débat et au processus
décisionnel. Les leçons tirées des expériences
réalisées dans ladministration locale
montrent que les préjugés à légard des
modes décisionnels ont souvent été dénués de
fondement.
La
société de linformation est un aspect
important de notre vie, mais notre modèle
daction, notre appareil administratif et le
principe qui régit notre manière de diriger
continuent de se fonder sur les modèles
hiérarchiques du passé. Nous devons apprendre à
agir dans un nouvel environnement, les ordres et les
restrictions seffacent devant la coopération
et des réseaux transparents se substituent aux
structures hermétiques. Sur ce plan, je dois
malheureusement constater que lappareil
administratif européen a encore un long chemin à
parcourir.
Quelles
leçons pouvons-nous tirer de ce qui précède?
***
La
société de linformation qui se développe
recèle de vastes possibilités. Nous pouvons
construire celle-ci de manière à ce que se
réalisent les idéaux de liberté, de
responsabilité partagée et dégalité. Il ne
sagit donc pas simplement de politique
technologique. Il sagit pour nous de
développer la société toute entière, sur la base
de valeurs communes.
Nous ne
devons pas attendre lavenir en gardant les bras
croisés; nous pouvons, dès à présent, nous mettre
à la façonner dans le sens que nous désirons.
Dabord,
nous devons lutter résolument contre ce qui conduit
à linégalité. En Finlande, nous avons
constaté que le développement des régions
marginales et faiblement peuplées peut être
accéléré en favorisant les aptitudes de leurs
habitants à tirer partie des possibilités de la
société de linformation. Les résultats
tirés de ces expériences sont encourageants. Le
renforcement de légalité régionale est
important, non seulement en Europe mais dans le monde
entier.
Deuxièmement,
nous devons aussi faire en sorte que la population
plus âgée soit intégrée à la société de
linformation. Lère du changement rapide
implique aussi lapprentissage des nouveautés,
pas seulement chez les jeunes. Nous avons fait de
bonnes expériences, par exemple à travers des
projets dans lesquels les rôles des classes
dâge ont été intervertis, et où les enfants
se sont mis à enseigner à leurs parents les
aptitudes à la société de linformation, dans
des clubs qui les réunissaient. Le savoir a ainsi pu
essaimer, tout en surmontant les obstacles qui
entravent les échanges entre les générations.
Troisièmement,
nous devons constamment oeuvre en faveur de la
tolérance. La nouvelle technique accroît les
possibilités de diffusion des opinions de toutes
sortes, quelles soient positives ou hostiles. A
lavenir, la tolérance et la protection des
plus faibles contre les plus forts seront de plus en
plus importantes. Les sociétés européennes ne
pourront être saines et fortes que si elles sont
aussi plurielles et tolérantes.
Jai
la conviction que lEurope réussira à
surmonter ces défis. Mais il faudra, pour ce faire,
déployer de nombreux efforts et revoir notre
manière de penser.